La plupart des filles accueillies à La Fontanelle ont subi des violences sexuelles. Ces agressions ont généralement des répercussions importantes qui s’expriment par toutes sortes de manifestations de souffrance. Rien ne justifie les violences qui leur ont été faites et un débat pourrait certainement être mené par ailleurs pour comprendre comment ces abus sont encore si répandus à l’heure actuelle. Lorsque nous sommes confrontés à de telles révélations, notre défi en tant qu’institution est d’accompagner l’adolescente vers la réparation.

Le Code pénal, qui distingue en matière sexuelle les personnes de zéro à quinze ans et celles de seize et dix-sept ans, met en exergue ce qu’il convient de considérer comme étant un « abus sexuel ». Tout acte d’ordre sexuel impliquant un·e mineur·e est interdit, qu’il y ait violence ou non et que l’enfant soit « consentant » ou pas.  L’abus sexuel sur un·e mineur·e est avant tout un contact ou une interaction de nature sexuelle inappropriée à son âge, à son niveau de développement psychosexuel et à son statut dans la société. Il s’agit d’actes ponctuels ou répétés, perpétrés avec ou sans contrainte ou violence, susceptibles de se produire dans tous les milieux socioculturels, à l’extérieur, mais également à l’intérieur des familles . La responsabilité de ces actes incombe uniquement à l’auteur·e et en aucun cas à la victime.

Souvent familiers de leur victime, les auteurs d’abus sexuels sur mineur·e·s agissent selon le modèle des préconditions de Finkelhor où chacune est nécessaire et conditionnelle à la suivante. Ces préconditions sont la motivation à l’abus sexuel, le surpassement des inhibiteurs internes, le surpassement des inhibiteurs externes et le surpassement des résistances de l’enfant. Les auteurs d’infractions contre l’intégrité sexuelle peuvent également commettre des actes sans contacts corporels, tel que l’exhibitionnisme. Le fait d’offrir, de montrer, de rendre accessible ou de mettre à disposition des écrits, des enregistrements sonores ou visuels, des images ou d’autres objets pornographiques est également pénalement répré-hensible. Parmi les actes sexuels avec contacts corporels, le Code pénal réprime tant ceux faisant l’objet d’un acte de pénétration que ceux sans acte de pénétration. Ces comportements sont clairement assimilés à des agressions sexuelles et sont, de ce fait, interdits par la loi. De même, les nouvelles formes d’expositions sexuelles qui se développent désormais sur Internet ainsi que sur les réseaux sociaux peuvent faire l’objet d’une procédure pénale.

Depuis le 1er janvier 2019, de nouvelles dispositions légales sont venues renforcer la LAVI, ainsi que d’autres lois pour permettre d’encore mieux protéger les enfants contre les abus et les mauvais traitements. Elles exigent de toute personne régulièrement en contact avec des mineur·e·s dans le cadre de son activité professionnelle de signaler les abus à l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte et de dénoncer l’infraction à l’autorité de poursuite pénale. Les infractions poursuivies d’office, autrement dit toutes les formes de violence sexuelle faites à un·e mineur·e, doivent être dénoncées au minis-tère public, donc à la police. Si l’objectif de protection de l’intégrité physique, psychique ou sexuelle de l’enfant est bien compréhensible, l’obligation de dénoncer a un effet pernicieux avec les adolescent·e·s, celui de les inciter à démentir leur confidence pour ne pas avoir à affronter les conséquences de leur « trahison » à l’égard de leurs proches.

Si la confusion ressentie par un·e enfant abusé·e est importante et sa peur de dénoncer déjà présente, ces phénomènes sont exacerbés chez les adolescent·e·s. À cet âge, elles et ils commencent à s’émanciper des parents tout en imitant leurs pairs pour construire leur identité. Le regard de la famille a autant d’importance que celui de leurs ami·e·s. La pression éprouvée est considérable lorsque la révélation doit être rendue publique. Selon notre expérience, lorsqu’une adolescente décide de nier sa déclaration, c’est toujours en raison d’une pression sociale réelle ou imaginée qu’exercerait un groupe ou un individu de son entourage.

Certaines ont craint pour leur vie ou pour celle d’un proche, convaincues que des membres de leur clan allaient commettre l’irréparable. D’autres ont eu peur des représailles et d’être rejetées. D’autres encore n’ont pas voulu nuire à l’auteur de l’abus parce qu’elles avaient par ailleurs développé des liens d’ordre affectif avec cette personne. D’autres enfin ne voulaient pas être déloyales en dénonçant quelqu’un de leur entourage. Les motivations de ces filles sont différentes, mais la conséquence est identique : un repli sur soi et le rejet de tout soutien qui pouvait encore être apporté.

Alors que cette réglementation fédérale visait justement à libérer les mineur·e·s du joug de l’agresseur·euse et à faire en sorte que la maltraitance cesse, il arrive aussi que l’obligation de dénoncer provoque l’effet inverse chez des adolescentes qui préfèrent se taire pour empêcher la justice punitive de se mettre en marche. Ces filles sacrifient  alors leur intégrité et se privent de réparation. 
Anne Kleiner
Merci à Gian-Reto Agramunt pour son expertise juridique
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traités par l’Écho 63, le journal semestriel de La Fontanelle


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