La Covid-19 a mis au défi les instances cantonales chargées de soutenir et surveiller la prise en charge des jeunes en difficulté dans les institutions. Elle a aussi révélé une grande force d’adaptation des structures d’accueil. Comment les autorités ont-elles géré cette crise ? Quel bilan en tirent-elles ? Christian Nanchen, chef du Service valaisan de la Jeunesse, et Bertrand Martinelli, chef de l’UPPEC au Service vaudois de protection de la Jeunesse, reviennent sur cette période singulière.

16 mars 2020 : toute la Suisse entre en semi-confinement. Pour les institutions, il s’agit de poursuivre la prise en charge des jeunes en foyer, tout en respectant les mesures imposées par le Conseil fédéral. Un défi qu’elles relèvent avec le soutien des autorités cantonales. En Valais et dans le canton de Vaud, les Services en charge de la jeunesse font preuve d’une belle anticipation : « Nous avons rapidement décidé de travailler sur un plan de protection en collaboration avec le médecin cantonal », explique Christian Nanchen, chef du Service cantonal valaisan de la Jeunesse. Ce concept sanitaire est déposé le 13 mars déjà sur le site casadata.ch, plateforme gérée par l’Office fédéral de justice (OFJ). Intégré dans la cellule de crise du Département vaudois de la formation, de la jeunesse et de la culture, Bertrand Martinelli, chef de l’Unité de pilotage des prestations éducatives contractualisées (UPPEC), s’efforce d’informer et d’inciter les institutions à prévoir un plan de protection plusieurs jours avant l’annonce du confinement.

Apporter un soutien aux institutions
Pour les cantons, le souci premier est d’être à l’écoute des besoins des foyers et de faire remonter le plus largement possible les informations du terrain, confronté quant à lui à la mise en place d’un encadrement complexe. En Valais, une vidéo-conférence est organisée chaque semaine avec les institutions. Du côté vaudois, un système de pilotage des institutions est mis en place. « Il a permis durant cette crise de trouver des solutions rapides », estime Bertrand Martinelli.

Les premières mesures ont répondu à une mission prioritaire de protection. L’action des cantons a ensuite évolué au fil des expériences et des connaissances du virus. Le Service valaisan de la Jeunesse, par exemple, a d’abord « verrouillé » les foyers avec un concept sanitaire à l’interne pour limiter les va-et-vient.
Les tournus entre éducateurs ont été réorganisés de manière à ce que les mêmes personnes travaillent avec les mêmes groupes de jeunes.

Trois locaux ont été réaffectés pour la quarantaine des jeunes, notamment des fugueurs, et pour accueillir les jeunes symptomatiques. « Nous avons aussi organisé dès que possible des possibilités de visites dans le cadre institutionnel, dans le respect des mesures sanitaires. Du côté de l’encadrement éducatif, nous avons mis des stagiaires de la section Travail social de la HES-SO à disposition des foyers pour renforcer les équipes, et remplacer les éducateurs à risque. Nous avons aussi créé des CDD dans le même sens », ajoute Christian Nanchen.

Dans le canton de Vaud, trois grands dispositifs ont été mis en place pour répondre aux besoins : douze places supplémentaires ont été créées pour l’accueil d’urgence en foyer ; une convention a été établie avec un organisme pour proposer des séjours de rupture de cinq à dix jours et les unités mobiles d’aide aux familles ont été renforcées. « Les horaires et les tournus ont également été adaptés pour protéger les jeunes et les éducateurs », complète Bertrand Martinelli.

Une forte solidarité malgré un climat anxiogène
Les cantons se sont entraidés en s’échangeant les expériences et les informations. « Nous sommes parvenus à une mutualisation des solutions, tout en nous adaptant à nos réalités cantonales, explique Bertrand Martinelli. C’est une bonne chose. Le Valais, par exemple, s’est rapidement positionné sur la question des droits de garde et de visite ; et nous nous sommes appuyés sur cette position ». Quelles ont été les principales difficultés ? « Il y a eu beaucoup de stress, il fallait oser imaginer le pire pour créer un concept de protection sûre et efficace. Ce fut très anxiogène comme situation, très intense, du non-stop », se rappelle Christian Nanchen. Pour le Valaisan, c’est le souci de la santé des enfants et des éducateurs ainsi que la gestion des fugues des résidents, qui ont complexifié sa tâche. Pour Bertrand Martinelli, le plus difficile aura été la fourniture de matériel.

Mais de la crise ressort aussi du positif : la pandémie a révélé la capacité de mobilisation, d’adaptation et de résistance des institutions dans une situation d’urgence. « Nous avons montré aussi une conscience professionnelle forte, ajoute Bertrand Martinelli. Je le savais et cela a été confirmé. » Et Christian Nanchen de renchérir : « Cette crise a consolidé nos liens avec les institutions, même s’ils étaient déjà bons. Elle a renforcé la solidarité entre les foyers et entre les équipes éducatives. Nous avons acquis de l’expérience ».

La crise, un observatoire privilégié
Pour Bertrand Martinelli, la crise a permis des observations et soulève des questionnements au niveau de la prise en charge en foyer : « Notre première interrogation concerne les six-seize ans : imposer le retour de l’enfant au foyer après une réintégration dans la famille durant la Covid, a été difficile. Le placement doit être réinterrogé au niveau des droits de l’enfant : pourquoi place-t-on l’enfant ? Ensuite, la Covid a imposé un allègement de l’agenda quotidien des enfants – diminution du rythme scolaire, des séances de logopédiste, des visites, etc. Or on a constaté une stabilisation de ces enfants. La question de leur sur-stimulation nous interroge. Enfin, dernier questionnement, les foyers pour adolescents ont été en grande difficulté durant la pandémie. Les ados semblent avoir été très impactés par la crise. Leur état psychique s’est détérioré. Il y a eu beaucoup de fugues. L’UPPEC souhaite creuser la question. »

Et du coté de l'OFJ ?
Les cantons et les institutions saluent le pragmatisme et l’ouverture dont a fait preuve l’Office fédéral de justice durant la pandémie. Béatrice Kalbermatter, cheffe suppléante de l’Unité d’Exécution des peines et mesures, dresse un bilan plutôt positif de cette crise. « Tous les jeunes en situation d’urgence ont pu être placés. Le système a continué à fonction­ner malgré la crise. J’ai beaucoup de respect pour cela ». Une question doit toutefois être résolue : qui est responsable de la protection de l’enfant en cas de crise: l’institution, le service placeur, le juge ou le canton ?

Béatrice Kalbermatter explique : « La pandémie a perturbé l’échelle des responsabilités et mélangé le rôle de chacun: qui protégeait qui contre quoi ? Le virus, les parents, soi-même ? Ces différents rôles doivent être réaffirmés en cas de situation similaire ». L’OFJ retient un élément positif de la crise, qu’elle entend développer : l’utilisation des systèmes de télécommunication informatiques dans les foyers, à l’image des vidéo-conférences. Celles-ci ont permis, durant le confinement, des contacts visuels pratiques et salvateurs.


Propos recueillis par Joanna Vanay