Éducateur à La Fontanelle et chargé d’accompagner les garçons dans leurs apprentissages scolaires, Yan Cordelier a été très investi dans la réflexion sur la masculinité menée par l’institution. Il a abordé ce sujet délicat avec habilité et a accepté de traiter en profondeur les remises en question associées.

Yan, qu’est-ce qui a motivé ton engagement pour ce sujet sensible qu’est la masculinité ?
J’ai été motivé par la perspective de donner la parole aux jeunes avec lesquels je travaille. Je voulais les rejoindre dans leur vision du monde et leurs besoins. Je souhaitais leur offrir un espace d’expression et de réflexion. Leur statut d’homme n’est pas simple à vivre ou à assumer à notre époque. Leur rôle et leur place sont difficiles à cerner. Il n’y a pas – ou plus – de mission claire, mais plutôt une palette de possibilités. Cette situation peut être anxiogène pour des adolescents, à plus forte raison pour des jeunes en rupture. À mon avis, ils subissent des pressions contradictoires tout au long de leur quête identitaire. Ils sont tenus de composer avec le poids de la norme, la pression des pairs, la loyauté vis-à-vis du modèle familial, les modèles qui les inspirent, etc. Se construire et trouver sa place dans ce contexte est compliqué.

Les violences subies par les adolescentes accueillies au foyer filles ont interpellé et ont amené cette réflexion sur un genre masculin potentiellement « agresseur ». Comment cela a-t-il résonné en toi ?
Ce constat m’a profondément heurté. Qu’on puisse conclure que les hommes sont des prédateurs et les femmes des victimes m’apparait simpliste, pousse au conflit et discrédite les actions qui visent à l’égalité entre les genres. Ces propos sont aussi dénigrants et réducteurs, tant pour les hommes qui ne sont pas des monstres en puissance, que pour les femmes qui ne sont pas de faibles et pauvres victimes. Il en va aussi de l’image de soi du garçon. Comment pourrait-il se construire à partir du postulat qu’il est un agresseur en puissance, comme le dénonce par exemple le hashtag #balancetonporc ?  

Comment as-tu abordé le sujet avec les jeunes ?
Le thème a d’abord été abordé en classe. J’ai commencé par clarifier des termes tels que rôle, normes, genres, stéréotypes de genre, masculinité, masculinisme, féminité, féminisme, etc. J’ai utilisé des supports de cours variés : articles, films, débats, questionnaires, etc. Puis j’ai organisé trois ateliers, dont les thèmes ont été choisis par les jeunes : le premier portait sur les stéréotypes de genre, le second sur la représentation de l’homme dans les médias et enfin le dernier sur les interactions hommes/femmes. Un théâtre d’image et un film d’animation auxquels les jeunes ont contribué sont venus parachever la démarche. J’ai eu à cœur de mettre les jeunes au cœur de mes réflexions.

Quels sont les bénéfices de cette réflexion ?
Ces ateliers ont conduit les jeunes à vivre des expériences inédites sur le sujet grâce aux approches variées et originales des intervenant·e·s. Ils se sont enrichis de ces nouvelles rencontres. Ils ont pu approfondir ce sujet qui questionne le rôle et la place de l’homme dans la société actuelle. Ils ont été bousculés dans leur vision. Ils ont dû quitter leur zone de confort. Ils sont parvenus à se dépasser. Ils ont aussi expérimenté « la prise de risque » : prendre la parole, donner un avis et en assumer le contenu, exprimer leurs émotions, se mettre en scène et interpréter un rôle, etc. Dans l’ensemble, ces ateliers ont amené à une meilleure compréhension du thème de la masculinité ainsi qu’à une meilleure connaissance de soi-même, mais aussi de l’autre, dans une perspective de respect mutuel entre hommes et femmes. La portée éducative a été palpable.

Propos recueillis par Anne Kleiner