Dossier: Troubles du comportement et médication
Entretien avec la Dresse Otilia Secara, médecin adjointe à la Chrysalide, Hôpital de Marsens (FR), ayant accompagné Céline sur le chemin de l’institution.
« Lorsqu’il est nécessaire, le placement en foyer éducatif suit l’hospitalisation psychiatrique.Celle-ci peut aussi s’imposer en cours de placement, la plupart du temps lors d’une situation aiguë, de passage à l’acte violent – auto- ou hétéro- agressif – ou de troubles de comportement avec grave mise en danger – intoxication avec substances psychoactives, sexualité chaotique, fugues » explique la doctoresse. De manière sous-jacente, on retrouve la problématique psychiatrique qui impose un traitement de spécialité. En dehors de telles situations « de crise », on hospitalise également des patients avec des troubles du comportement alimentaire – anorexie, boulimie – en état de décompensation, avec problématique dépressive ou en refus scolaire. Dès la phase de préadmission, on va chercher à établir une alliance thérapeutique avec l’adolescent en souffrance et définir des objectifs. Il réintègre généralement sa famille lorsqu’il va mieux et reprend ses activités scolaires ou sa formation ; si le contexte ne le permet pas ou qu’un encadrement s’impose pour stabiliser la problématique de santé mentale, un placement en foyer est envisagé et c’est là que l’équipe de la Chrysalide accompagne le patient et sa famille dans le placement.
Entre ces deux étapes, la prise en charge moyenne est de 28 jours, durant laquelle le patient est stabilisé par le biais de différentes thérapies individuelles et de groupe, d’activités avec des infirmières, et de temps pour lui. Mais que signifie exactement être stabilisé ? Selon la Dresse Secara « cela dépend de l’âge et de la problématique initiale. Par exemple, selon des standards internationaux, la dépression est stabilisée lorsque le patient retrouve 100% de son fonctionnement antérieur, son appétit, son sommeil, son envie de faire des choses et sa capacité à se projeter dans l’avenir ».
Notre interlocutrice, qui a exercé auparavant en France, constate par ailleurs que la pédopsychiatrie suisse médique moins que ses voisins, selon le principe suivant : « La médication ne doit pas interférer sur les apprentissages, ni nuire au développement extrêmement rapide du cerveau à l’adolescence. Il s’agit donc d’un soutien qui doit être le plus faiblement dosé, sur une période la plus courte possible ». Par contre, elle pointe du doigt le fait que certains médicaments, tels que le Temesta (lorazepam), un puissant psychotrope, soit vendu sans ordonnance, et puisse donc être utilisé comme drogue par les jeunes.
Suite à cette prise en charge, les rechutes sont possibles, mais rares, d’après la Dresse Secara : « Sous-jacente aux troubles du comportement, il y a souvent la dépression, plus fréquemment chez les adolescentes en raison de bouleversements hormonaux, et l’issue est favorable. Dans certains cas plus graves, mais aussi plus rares, les symptômes peuvent être le signe d’un début de psychose. Des facteurs de vulnérabilité génétique, les changements hormonaux et le développement massif du cerveau à l’adolescence peuvent contribuer au déclenchement d’un premier épisode psychotique, maladie complexe à traiter et au pronostic moins favorable ».
Exerçant depuis trois ans en Suisse, notre interlocutrice n’a pas un grand recul quant à l’augmentation des cas de pédopsychiatrie. Elle constate cependant que les séjours à l’hôpital tendent à s’allonger, et que les retours en milieu familial s’avèrent plus compliqués. Les parents travaillent, ils sont moins présents auprès des enfants ; les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses; les familles d’immigrants manquent du soutien d’un réseau social. La source du problème est toutefois probablement bien en amont : « Les notions de respect de l’autre et les règles de socialisation se construisent entre zéro et trois ans, durant la période où se développe l’attachement entre le bébé et l’adulte qui prend soin de lui. Ce qui n’est pas acquis refait surface à l’adolescence de manière bruyante, et avec plus de conséquences pour l’adolescent, pour la famille et pour la société ».
Cindy Gisclon