Comment aider nos jeunes à faire un usage lucide et enrichissant des possibilités offertes par les nouvelles technologies ? Une meilleure compréhension du fonctionnement du cerveau dans sa rencontre avec les écrans d’ordinateurs, de tablettes, de smartphones ou de consoles de jeux peut y contribuer. Car ce sont les mécanismes cérébraux qui nous font agir, réagir et préférer certaines activités à d’autres. Ils sont le résultat d’une très longue évolution qui nous a permis de survivre et de nous reproduire.
L’attractivité exercée par les écrans sur les jeunes donne souvent lieu à des impressions contrastées. Nous craignons que la génération des natifs numériques devienne dépendante et violente sous l’effet des médias digitaux tout en nous réjouissant qu’elle bénéficie de ses vertus éducatives et ludiques. Quelle que soit l’approche, nous avons le sentiment d’une transformation imposée au cerveau. Or, les spécialistes en sciences cognitives et en neuroscience n’ont pas observé de modifications des circuits cérébraux et considèrent plutôt que c’est la construction même du cerveau qui favorise une forme d’emprise des écrans. Ceux-ci donnent le sentiment d’être irrésistibles, car ils procurent facilement de nombreuses satisfactions dont le cerveau est friand.
Les jeux vidéo par exemple, émettent des stimuli perceptifs à travers les couleurs, la lumière et le son qui captent notre attention et que notre cerveau parvient à traiter facilement. Les films ou les séries utilisent les mêmes ingrédients, mais les jeux vidéo permettent en plus d’interagir avec d’autres joueuses et joueurs, en position de compétition ou de collaboration, ce qui alimente notre cerveau social. Les réseaux sociaux connaissent un succès similaire pour la même raison. Ils répondent aux besoins biologiques de créer et d’entretenir des relations sociales. Accessibles facilement à travers le smartphone qui a tendance à nous accompagner partout, ils donnent la sensation d’être en lien à volonté.
Mais que se passe-t-il dans le cerveau ? Le temps long l’a façonné pour que nous soyons capables de déceler le danger, trouver la nourriture et nous reproduire de façon à assurer notre survie, ceci notamment à travers la capacité d’attention. C’est elle qui permet de se focaliser sur certaines informations provenant du monde extérieur ou de nos pensées. Différentes formes d’attention ont été répertoriées, parmi lesquelles l’attention soutenue, l’attention sélective et l’attention exécutive qui sont toutes trois très sensibles aux stimuli des médias numériques.
L’attention soutenue permet de guetter un ennemi, se concentrer sur une tâche ou jouer à un jeu vidéo. L’attention sélective nous fait réagir face à un bruit suspect, une odeur inquiétante ou une alerte de SMS. L’attention exécutive nous permet de rester concentrés en bloquant les distractions, lorsqu’on est appelé à se mettre à table alors qu’on est occupé à visionner une vidéo sur YouTube. Le contrôle actif sur l’attention se développe progressivement de l’enfance à l’âge adulte. À maturité, la maîtrise de l’attention continue à demander des efforts et reste fragile. Des stratégies de protection permettent de prendre en compte cette limite biologique en mettant à distance les technologies numériques désirables, en particulier lorsque nous accomplissons une tâche qui demande de la concentration comme la lecture.
La lecture, qui est apparue il y a cinq mille ans, fait partie de ces tâches pour lesquelles le cerveau n’a pas été programmé. Des recherches en neurosciences ont démontré qu’il utilise des régions et des circuits dédiés à l’origine à d’autres fonctions telles que parler, comprendre le sens, reconnaître les formes. Déchiffrer du sens à partir de formes écrites est une activité difficile et exigeante en attention. Elle sollicite la mémoire à court terme pour unifier un passage et la mémoire à long terme pour lui donner du sens. Aucun de ces processus n’est automatique. La capacité à lire de longs textes ne se développe qu’avec l’exercice. Elle s’avère très utile pour enrichir notre mémoire d’informations diversifiées qui permettront de mieux répondre aux défis et besoins imposés par notre relation au monde extérieur.
Pour le fonctionnement de tâches récurrentes et simultanées, le cerveau dispose d’une sorte de pilote automatique bien moins énergivore que l’attention. Il déclenche des actions efficaces et rapides faites de réponses préformatées puisées dans la mémoire, de procédés d’exploration opérant par évaluations et hypothèses successives et d’autres formes de traitement automatique de l’information pour traiter des actions telles que respirer en se tenant debout, penser en écoutant de la musique et désormais marcher en regardant son smartphone.
La gestion du temps passé sur les écrans apparait préoccupante dans la mesure où la surconsommation de médias numériques se produit au détriment d’autres expériences conduisant à des acquisitions bénéfiques pour enrichir notre mémoire et nos processus cognitifs. Ce point fait consensus entre les expert-es. Il est nécessaire de l’encadrer pour favoriser des comportements demandant plus d’efforts et plus difficiles à activer.
Pouvons-nous devenir multitâches ?
Faites l’exercice : Quel animal voyez-vous ?
Cette illustration cache un canard et un lapin. On parvient à passer indifféremment et rapidement de l’un à l’autre. Ce n’est pas contre pas possible devoir l’un et l’autre en même temps. Nous passons de l’un à l’autre par séquence rapide, au prix d’un certain effort, démontrant que notre attention ne peut pas être mobilisée simultanément.
Encourager la diversité des apprentissages
Donner le temps de faire les acquisitions difficiles comme le gout pour la lecture et de l’effort avant d’accorder l’accès aux écrans.
Limiter les distractions inutiles
Faire disparaitre les écrans de l’environnement immédiat lorsqu’on a besoin de se concentrer
S’aider à résister
Différencier les supports destinés au jeu et à la détente de ceux utiles aux acquisitions et au travail pour prendre conscience des superstimuli qu’ils représentent et mieux les gérer
Tenir compte des principes fondamentaux de l’apprentissage
L’accessibilité facilitée à toutes sortes d’informations sur Internet nécessite de développer l’esprit critique, basée sur la connaissance. Celle-ci s’enrichit au contact de multiples observations, demande un effort d’attention et une pratique assidue.
Ne pas confondre un like et une amitié
Les réseaux sociaux répondent à un besoin naturel d’établir et rester en lien. La qualité de la relation peut être parasitée par des commentaires ou des likes de faux amis. Sensibiliser (à cet écart de perception.
Apprendre à évaluer les sources d’information distantes
Les activités numériques ont mis de la distance dans les échanges, et limitent de ce fait notre faculté à identifier les effets de notre communication. Ce nouveau contexte oblige à développer de nouvelles compétences pour entretenir des relations respectueuses, savoir chercher les bonnes informations et évaluer la qualité de nos sources.
Profiter de l’horizon élargi qu’offre Internet
Incitons les jeunes à s’intéresser aux cultures, aux lieux, aux différentes manières de penser accessibles à travers Internet afin d’élargir leur cercle de connaissance et stimuler leur empathie. Veillons à ne pas rester enfermer dans une bulle mais à se confronter aux idées des autres et à rechercher activement l’échange.
Comment les écrans nous transforment et nous révèlent à nous-même, Elena Pasquinelli, 2022
Comment utiliser les écrans en famille, petit guide à l’usage des parents 3.0, Elena Pasquinelli, 2017
Fondation La Main à la Pâte, https://fondation-lamap.org/documentation-scientifique/le-cerveau-humain
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