Homme, femme, blanc, noir, petit, grand, jeune, vieux… on a besoin de catégoriser pour comprendre et s’adapter au monde dans lequel on évolue. Sauf que la catégorisation favorise le stéréotype qui lui-même conduit au préjugé. Emilio Pitarelli prend pour exemple l’idée répandue que la femme n’a pas le sens de l’orientation. Or plusieurs études ont montré que cette compétence ne s’acquiert qu’en se déplaçant dans différents espaces. Ce n’est donc pas le sexe qui a occasionné le déficit d’orientation, mais le rôle de mère et de maitresse de maison associé à une certaine sédentarité. Très répandus, les préjugés constituent de véritables menaces pour le développement au sens où ils conditionnent certains groupes à se socialiser et à se comporter de la manière attendue. On pourrait se demander si la catégorisation homme-femme continue à être d’actualité et dans quel domaine.
Chercheuse valaisanne et spécialiste des questions de genre, Caroline Dayer propose de s’intéresser aux trois facettes qui forment l’identité de genre. La première est l’expression de genre, c’est-à-dire comment chacune et chacun s’affiche devant les autres. Par exemple, suis-je forcément une fille si je porte des cheveux longs, suis-je à coup sûr un garçon si je suis bodybuildé ? La deuxième est la question des rôles, soit comment chacune et chacun joue le rôle choisi ou qui lui est assigné ? Qu’attend-on de moi en tant qu’homme ? Par exemple suis-je vraiment un homme lorsque je repasse du linge ? La troisième dimension touche au ressenti intérieur. A-t-on la sensation d’être plutôt un homme, une femme ou quelqu’un d’autre. Un malaise plus ou moins important peut provenir d’antagonismes entre ce qu’on affiche, le rôle qu’on tient et ce qu’on ressent.
On entretient aussi l’illusion que l’humain est cohérent, fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait. En réalité, l’identité est multiple et mouvante. On n’est jamais la même personne à quinze, trente, cinquante ou nonante ans. Et si on s’observe à un moment T, on constate aussi que l’identité est flottante, entre ce qu’on pense de soi, ce qu‘on fait, ce qu’on dit, ce que les autres en pensent et voient, etc. Plusieurs facettes identitaires coexistent et évoluent constamment.
Un psychiatre suisse, C.G. Jung, a beaucoup travaillé sur la personnalité. Il a élaboré une théorie selon laquelle l’identité de l’être humain comprendrait plusieurs couches. La première, exposée à toutes et tous, est la Persona. Elle désigne la partie affichée de la personnalité, celle qui organise le rapport de l’individu à la société et qui montre ce qui est acceptable. Elle se construit au fil des expériences, qui apprennent à l’individu ce qui est attendu sur le plan de son comportement. La deuxième couche est formée par la partie consciente du psychisme, appelée le Moi. Dans sa perspective, C.G. Jung affirme que le Moi contient une part de féminin et une part de masculin qu’il nomme bisexualité psychique. La troisième est constituée par la partie refoulée par souci d’adaptation, l’Ombre. Ce qui ne peut pas être montré va tout de même ressortir vers l’extérieur lors de conflits, de guerres, mais aussi de auchemars. Enfin, la quatrième couche est le centre de l’identité profonde, le Soi. C’est ce que nous sommes vraiment. Au final, notre quête consiste à trouver et devenir Soi. C’est un processus lent qui prend généralement au moins une quarantaine d’années.
Finalement, continuer à se distinguer à travers le genre n’est peut-être plus adapté aux besoins de notre société. Il serait préférable de se concentrer sur les étapes qui permettent de devenir Soi sans pour autant ignorer le besoin d’appartenance, qui pourrait se réaliser à travers d’autres valeurs ou passe-temps que le genre.