Pour sa conférence annuelle, La Fontanelle a choisi d’approfondir les questions relatives à l’identité du genre masculin, constatant que le modèle traditionnel ne répond plus à l’évolution de la société. Cela fait quasiment une quarantaine d’années que l’homme se cherche, qu’il est en perte de repères. Le pater familias, incarnant l’autorité, travaillant à l’extérieur, jouant un rôle bien défini n’est plus. Qui est-il alors ? La Fontanelle a invité Emilio Pitarelli, professeur HES, psychologue, sociologue et conseiller conjugal, à partager son appréciation de la situation lors d’une conférence qui a eu lieu le 6 octobre dernier.
La majorité des hommes ne remettent pas en question la légitimé des revendications féminines demandant à s’émanciper et à ce que leurs droits soient respectés. Cela implique cependant une profonde remise en question de leur propre rôle. Première observation d’Emilio Pitarelli : on ne change pas une telle situation d’un revers de main. Il est nécessaire de se laisser le temps de cheminer pour créer de nouveaux jalons, dans une société qui aspire à une réalisation de soi plus éclectique. Cette temporisation peut sembler paradoxale dans une époque où tout doit aller vite, mais elle est inévitable.
La deuxième observation d’Emilio Pitarelli touche à la façon d’appréhender la question de la différence et de l’égalité. Être égaux est-il équivalent à être pareils ? Qui sommes-nous en fait ? Un homme, une femme, un père, un mari, un grand-père… Les humains se caractérisent les uns par rapport aux autres à travers les rôles qu’ils investissent. Cela forme l’identité sociale de l’individu. Je suis Italien, je suis directeur, je suis musicien, je suis papa… et j’appartiens au groupe de celles et ceux qui sont comme moi. En même temps, chacune et chacun a le besoin de se distinguer des membres de la communauté à laquelle elle et il s’identifie ; cela la ou le met continuellement en tension. Un des risques importants de ce fonctionnement est d’entrer en compétition avec les individus ou le groupe dont on se distingue, et de construire le sentiment qu’on lui est supérieur ou inférieur. C’est ce qui s’est passé entre les hommes et les femmes.
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Homme, femme, blanc, noir, petit, grand, jeune, vieux… on a besoin de catégoriser pour comprendre et s’adapter au monde dans lequel on évolue. Sauf que la catégorisation favorise le stéréotype qui lui-même conduit au préjugé. Emilio Pitarelli prend pour exemple l’idée répandue que la femme n’a pas le sens de l’orientation. Or plusieurs études ont montré que cette compétence ne s’acquiert qu’en se déplaçant dans différents espaces. Ce n’est donc pas le sexe qui a occasionné le déficit  d’orientation, mais le rôle de mère et de maitresse de maison associé à une certaine sédentarité. Très répandus, les préjugés constituent de véritables menaces pour le développement au sens où ils conditionnent certains groupes à se socialiser et à se comporter de la manière attendue. On pourrait se demander si la catégorisation homme-femme continue à être d’actualité et dans quel domaine.
 
Chercheuse valaisanne et spécialiste des questions de genre, Caroline Dayer propose de s’intéresser aux trois facettes qui forment l’identité de genre. La première est l’expression de genre, c’est-à-dire comment chacune et chacun s’affiche devant les autres. Par exemple, suis-je forcément une fille si je porte des cheveux longs, suis-je à coup sûr un garçon si je suis bodybuildé ? La deuxième est la question des rôles, soit comment chacune et chacun joue le rôle choisi ou qui lui est assigné ? Qu’attend-on de moi en tant qu’homme ? Par exemple suis-je vraiment un homme lorsque je repasse du linge ? La troisième dimension touche au ressenti intérieur. A-t-on la sensation d’être plutôt un homme, une femme ou quelqu’un d’autre. Un malaise plus ou moins important peut provenir d’antagonismes entre ce qu’on affiche, le rôle qu’on tient et ce qu’on ressent.

On entretient aussi l’illusion que l’humain est cohérent, fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait. En réalité, l’identité est multiple et mouvante. On n’est jamais la même personne à quinze, trente, cinquante ou nonante ans. Et si on s’observe à un moment T, on constate aussi que l’identité est flottante, entre ce qu’on pense de soi, ce qu‘on fait, ce qu’on dit, ce que les autres en pensent et voient, etc. Plusieurs facettes identitaires coexistent et évoluent constamment.

Un psychiatre suisse, C.G. Jung, a beaucoup travaillé sur la personnalité. Il a élaboré une théorie selon laquelle l’identité de l’être humain comprendrait plusieurs couches. La première, exposée à toutes et tous, est la Persona. Elle désigne la partie affichée de la personnalité, celle qui organise le rapport de l’individu à la société et qui montre ce qui est acceptable. Elle se construit au fil des expériences, qui apprennent à l’individu ce qui est attendu sur le plan de son comportement. La deuxième couche est formée par la partie consciente du psychisme, appelée le Moi. Dans sa perspective, C.G. Jung affirme que le Moi contient une part de féminin et une part de masculin qu’il nomme bisexualité psychique. La troisième est constituée par la partie refoulée par souci d’adaptation, l’Ombre. Ce qui ne peut pas être montré va tout de même ressortir vers l’extérieur lors de conflits, de guerres, mais aussi de auchemars. Enfin, la quatrième couche est le centre de l’identité profonde, le Soi. C’est ce que nous sommes vraiment. Au final, notre quête consiste à trouver et devenir Soi. C’est un processus lent qui prend généralement au moins une quarantaine d’années.

Finalement, continuer à se distinguer à travers le genre n’est peut-être plus adapté aux besoins de notre société. Il serait préférable de se concentrer sur les étapes qui permettent de devenir Soi sans pour autant ignorer le besoin d’appartenance, qui pourrait se réaliser à travers d’autres valeurs ou passe-temps que le genre.
Anne Kleiner

Du point de vue de la sexualité

Quelle est l’influence de l’émancipation des femmes sur la sexualité des jeunes garçons ?
La majorité des jeunes hommes sont soucieux de respecter leurs partenaires et ne veulent pas avoir de rapport sans leur consentement. Mais ils ne savent pas comment l’obtenir et se sentent souvent démunis lors de démarches de séduction, car ils ont appris des comportements de dominant qui ne sont plus en phase avec leur époque.

Comment le bouleversement des rôles et des statuts entre les genres entre-t-il en ligne de compte dans la démarche de séduction des jeunes garçons ?
Les jeunes, garçons et filles, doivent apprendre à verbaliser leurs sensations et découvrir comment l’exprimer pour s’assurer qu’elles sont partagées. Ce bouleversement ne touche pas que les garçons, mais aussi les filles qui ne savent pas formuler ce qu’elles ressentent. Ils et elles se trouvent en terrain vierge, et explorent comment dire « est-ce que tu as envie que je t’embrasse ? ». L’effet de groupe joue aussi un rôle important à cet âge, et rend cette transformation encore plus difficile.

Quels changements observez-vous chez les jeunes couples en lien avec la valorisation de modèles masculins non dominants ?
On observe que la pratique se transforme chez les jeunes, qui préfèrent s’adonner à une sexualité non pénétrative faite de caresses sexuelles. Le passage à l’acte de pénétration est retardé, car il demande d’avoir de l’assurance, voire du courage, qui leur fait défaut dans un contexte de hashtags metoo et d’angoisse de la performance résultant de comparaisons aux prouesses du porno. Le fait de ne pas savoir comment s’assurer du consentement du ou de la partenaire ajoute de la difficulté.

Propos recueillis par Anne Kleiner auprès de Patrizia Anex, sexologue

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