L’émancipation des femmes a rebattu les cartes du jeu relationnel et bouleverse les rôles et les statuts établis depuis longtemps sur un mode patriarcal. L’homme et la femme sont désormais en concurrence dans le monde du travail, dans la vie publique ou dans l’exercice de l’autorité parentale. Il ne s’agit pas ici de faire un quelconque procès aux revendications féministes, mais de s’arrêter sur les conséquences induites par ces changements d’équilibre. Quels effets ont-ils sur l’homme moderne et de quel modèle le garçon peut-il s’inspirer ?
Jusqu’à ce que ces mutations interviennent, la situation profitait globalement à la gent masculine qui bénéficiait des avantages associés à la discrimination envers les femmes, quand bien même ils n’y participaient pas personnellement. Certains ont pu ressentir la lutte des féministes comme agressante, car elle les oblige à abandonner des privilèges, les revendications visant généralement à libérer les femmes de la domination des hommes, ou à leur ouvrir le champ des possibles pour dépasser les comportements généralement assignés aux femmes et aux hommes. Plus récemment, l’ordre phallocentré a été chamboulé par le raz-de-marée provoqué par les #MeeToo, #balancetonporc et autres hashtags.
Selon Marion Coville, Maîtresse de conférence à l’université de Poitiers et spécialisée dans l’observation des interactions sociales, le genre conditionne nos rapports sociaux au quotidien, à l’école, au travail. Attribué à la naissance lors du constat du sexe du bébé, le genre n’est pas inné, mais s’apprend tout au long de la vie et est sans cesse recadré dans les interactions quotidiennes afin que l’homme comme la femme se comportent en adéquation avec les caractéristiques sociales qui leur sont assignées. Mehdi Derfoufi, professeur associé en études des genres et des médias à l’université de Paris, relève quant à lui la pression qu’exerce la médiasphère, le monde du divertissement ou de la mode sur les constructions sociales. Les jouets, l’industrie vestimentaire, les films, les jeux vidéo ou la musique, notamment le rap, valorisent en chœur les attributs associés à l’homme idéal qui doit être dominant, courageux, endurant, rationnel, sportif, bricoleur etc.
Ces constructions sociales ont un véritable impact dans nos sociétés. Elles façonnent les corps, les visages, les attitudes et viennent réduire la part de naturel dans les comportements. Le genre conditionne aussi les rapports de pouvoir puisqu’ils sont organisés selon des hiérarchies qui valorisent les attributs masculins tels que la force, la maîtrise des émotions, la pensée logique. Ils s’articulent généralement au détriment des caractéristiques intégrées par le genre féminin telles que la sensibilité, la douceur, l’empathie. Cela a entrainé de nombreuses exclusions et inégalités au fil des siècles.
La sociologue australienne, Raewyn Connell, qui fait référence pour ses publications dans le domaine, a été la première, dans les années 1995, à parler de masculinité hégémonique. Elle décrit par là une forme de masculinité auquel toute personne de genre masculin est invitée à s’identifier pour correspondre à cette manière dominante d’être un homme. Elle a complété son modèle avec trois représentations voisines que sont les masculinités complices, marginalisées et subordonnées. La forme complice participe à la masculinité hégémonique sans toutefois l’incarner pleinement ni bénéficier totalement des privilèges qui en découlent. La chercheuse décrit les hommes participant de ce type de masculinité comme admirant ou aspirant à la masculinité hégémonique. Avec la forme marginalisée, elle évoque les masculinités soumises à l’emprise de la masculinité hégémonique et qui en sont exclues du fait de certains facteurs, comme la race ou le handicap. Avec la forme subordonnée, elle caractérise les masculinités qui servent de figure repoussoir et présentent des caractéristiques opposées à celles qui sont valorisées dans le cadre de la masculinité hégémonique, dans laquelle s’inscrit l’homosexualité.
Mehdi Derfoufi s’est appuyé sur ce concept de masculinité hégémonique pour expliquer la spirale des différentes formes de violence dans laquelle le genre masculin est entrainé. Poussé à adopter – en personne ou par procuration – une posture de dominant dont il est sensé tirer avantage, l’homme est aussi constamment menacé de destitution et doit inlassablement réaffirmer sa masculinité. La lutte pour atteindre cet idéal destructeur et discriminant pour lui-même et pour le genre féminin implique aussi de fournir une performance épuisante, une compétition incessante entre tous et toutes.
Or cet ordre millénaire est bousculé par un mouvement social multiforme. Celui-ci converge toutefois dans la volonté de redéfinir les rôles des femmes par-delà les comportements qui leur sont assignés et vise à les libérer de l’oppression masculine. Les rôles masculins se voient donc reconfigurés par ces évolutions, non sans crispations et questionnements. Beaucoup d’hommes se trouvent face à un paradoxe : comment allier l’uniformisation des genres dans les actes du quotidien avec leur part de virilité ? Comment renoncer aux privilèges octroyés au groupe des dominants auquel ils ont appris avoir droit ?
Face à la perte de repères normatifs et aux injonctions contradictoires, certains mouvements s’organisent pour défendre l’émergence de masculinités positives, co-responsables et démocratiques. Ces différentes façons de s’affirmer homme incitent à reconnaitre les autres comme des êtres humains égaux, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes, de filles ou de garçons. Elles invitent le genre masculin à s’engager pour des sociétés égalitaires, inclusives et capables d’offrir les mêmes opportunités à toutes et tous. Elles les appellent aussi à considérer comme des avantages le fait de savoir reconnaitre ses faiblesses et d’avoir besoin d’aide, de s’intéresser à ses propres besoins en matière de santé ou encore de cultiver sa capacité à exprimer ses émotions.
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Anne Kleiner
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