Durant  la  période de semi-confinement,  certain·e·s adolescent·e·s ont eu la  sensation d’être lâché·e·s par les organismes sociaux qui ont fermé les uns après les autres ou ont fortement réduit leur  activité.  Les  situations  avec mesure d’accompagnement ambulatoire ont été suivies avec moins d’attention, voire plus du tout. Des jeunes auxquels on disait avant la crise sanitaire qu’il  était  urgent  de  bouger et de prendre des décisions pour  leur  avenir se sont brusquement retrouvé·e·s dans un espace-temps sans obligation ni stimulation à s’insérer.

À l’instar d’autres institutions, La Fontanelle a continué ses activités durant cette  période, y compris  celles dans l’accompagnement ambulatoire.  Les  éducatrices  et  éducateurs en mission dans les antennes hors murs  localisées  en  Romandie  ont  poursuivi leur travail de soutien aux jeunes et à leurs parents. Ils et elles ont évidemment observé les mesures de protection contre la Covid-19 et prêté  une attention particulière aux attentes et aux craintes exprimées par rapport à la pandémie.

En fonction des demandes, les échanges ont eu lieu lors de  promenades  en  extérieur  ou  par  visioconférence.  « J’ai  été  surpris  par  la  qualité  de  la  relation  qui  s’est  développée  dans  mes  entretiens  par  vidéo » relate Philippe Bornand, référant local à Genève. « par exemple, j’ai pu suivre régulièrement une maman ne sachant plus comment agir avec son fils, car il passait le plus clair de son temps sur les écrans et refusait d’entreprendre. très angoissée au début de nos contacts, elle a pu prendre du recul au fil des entretiens et donner des réponses qui ont  amené  son  garçon  à  entrer  dans  un  dialogue  et  à  se mobiliser. »

L’atmosphère familiale était plus ou moins explosive, selon si le parent travaillait en entreprise ou à distance depuis son domicile, s’il était en réduction d’horaire de travail ou encore selon s’il était employé ou indépendant. Beaucoup de jeunes ont eu le sentiment d’être injustement privés de liberté pour une raison qui ne  les  touchait pas. «Bastien* sortait voir ses copains qui se retrouvaient en groupe et il a plusieurs fois été interpellé par les forces de l’ordre» raconte Sandrine King, référante locale dans le canton de Fribourg. «la police l’a ramené à son domicile, enjoignant  le père «de tenir son gamin» mais le papa, professionnel du bâtiment et préoccupé par le contexte économique, ne faisait que croiser son garçon qui  dormait encore lorsqu’il se rendait à son travail et était sorti lorsqu’il en rentrait. Déstabilisé par le comportement de son fils qu’il jugeait irresponsable, en particulier à l’égard de son grand-père qui vivait avec eux, il ne savait plus quelle attitude adopter. Devant cette situation de plus en plus conflictuelle, notre proposition d’accompagnement a été bien accueillie par le père et nous avons pu trouver ensemble des  solutions  pour  amener ce jeune à prendre ses responsabilités.»

L’évolution de la pandémie, le confinement et la communication médiatique autour du sujet ont généré chez beaucoup de l’anxiété et un sentiment d’instabilité. Des attitudes irrationnelles ont commencé à émerger, telles que l’achat exagéré de réserves. Les personnes naturellement anxieuses ont été fragilisées par le contexte et ont souvent sur-réagit. « Élodie*, que j’ai suivie à son domicile après un séjour en foyer à La Fontanelle pour conduite problématique, était particulièrement vulnérable » explique Sandrine King. « Durant la période en foyer, ses aveux d’abus sexuels ont finalement permis de comprendre ses comportements inadaptés. Mais la demande d’un bilan psychologique réclamé en février est restée lettre morte pendant tout le confinement et Élodie s’est retrouvée à la maison avec ses angoisses. Elle a rapidement été preneuse d’un soutien et nous avons eu de longs échanges lors de promenades avec son chien. Parmi les outils conseillés pour l’aider, elle a choisi l’écriture d’un journal. Pouvoir déposer ses émotions sur le papier lui a permis de traverser plus sereinement cette période difficile. »

Le semi-confinement a été ressenti comme éprouvant, mais l’exigence d’isolement en cas de suspicion ou de maladie l’a été plus encore. « J’ai suivi une famille de trois personnes mises en quarantaine dans un petit appartement suite à un diagnostic de contamination » raconte Séverine Jeanneret, référente locale dans le nord vaudois et à Neuchâtel. « Ils avaient le sentiment d’être pestiférés et rejetés. La relation entre le père et le fils était devenue de plus en plus tendue au fil du temps. Nos échanges ont permis de remettre la situation en perspective et amener de la nuance jusqu’à l’apaisement, en particulier d’aider à arbitrer sur ce qui était négociable et sur ce qui ne l’était pas ». Quand il fallut recourir à la visioconférence, comme dans ce cas, le dialogue fut facilité par des jeunes et des parents expressifs. « J’ai découvert un bel outil » considère Philippe Bornand. « Je l’utilise désormais volontiers avec des interlocutrices et interlocuteurs démonstratifs. Cela me permet de limiter des déplacements polluants. »

La montée d’un sentiment d’inquiétude n’a pas épargné les professionnel·le·s de l’éducation. « Les changements et les contraintes ont aussi envahi mon quotidien et mon organisation » conclut Séverine Jeanneret.
« C’était dur de me retrouver privée de l’affection de mes proches et de recevoir ce flot permanent d’informations alarmantes. Les nouvelles sur l’évolution de la pandémie avaient tendance à absorber mon énergie. Cela m’a également questionnée de constater que la notion d’urgence pouvait autant changer. » Cette pandémie interroge finalement sur la capacité de notre société à faire face socialement, psychologiquement et économiquement à ce genre de crise. Elle témoigne aussi de la place centrale qu’occupe désormais la prise de risque. Par ailleurs, elle a mis en évidence notre incroyable faculté d’adaptation.
Propos recueillis par Anne Kleiner