Pour la rédaction de ce rapport, je me suis d’abord attardé sur les chiffres afin d’en dégager des tendances. Cette analyse m’a replongé au cœur des histoires de jeunes que nous avons accueilli·es à La Fontanelle. Sur les quatre ans couverts par mes investigations, ce sont près de deux-cent-cinquante prénoms qui défilent dans ma mémoire. Je revois des visages, des événements, des familles… Je me rappelle les parcours de ces garçons et de ces filles qui se trouvaient dans une impasse au moment de notre première rencontre.
Pour m’y retrouver, je tente une classification. De cet exercice se dégagent grossièrement trois catégories. Dix à trente pour cent des placements rassemblent des jeunes qui n’ont rien pris de ce que nous avons essayé de leur donner. Parmi les septante à nonante pour cent restant, j’observe deux groupes. Un premier formé par des jeunes qui se sont adaptés et ont fait des efforts comportementaux, sans que nous ayons eu la certitude de les atteindre en profondeur, de toucher aux peurs et aux fragilités pouvant les aspirer à nouveau. Un deuxième constitué de jeunes avec lesquel·les nous avons assisté à de véritables déclics conduisant à des apprentissages transformateurs et amenant à une sortie
de l’impasse.
On me questionne souvent sur le taux de réussite, parfois pour s’assurer qu’un changement de trajectoire est réellement possible, d’autres fois pour confirmer que ce déploiement d’énergie en vaut la peine, ou encore pour interroger l’investissement financier consenti. Ces demandes sont bien légitimes, mais y répondre de manière documentée et scientifique exigerait une enquête poussée et onéreuse. Et comment mesurer l’impact de chacune des interventions qui ont jalonné le parcours de ces jeunes, là une éducatrice, là un assistant social, là un maître d’apprentissage ? Ce sont chaque fois autant de graines qui ont été plantées.
Au fil de ma réflexion, l’évidence me saute aux yeux. Chaque vie vaut la peine d’être secourue dans la difficulté. Chaque situation est particulière et complexe à cataloguer. Le changement intervient parfois alors qu’on ne s’y attend plus. En 2022, plusieurs échanges avec d’anciens et d’anciennes bénéficiaires nous ont frappés dans ce sens et ont démontré que la catégorisation est utile pour orienter nos actions, mais n’est jamais une vérité absolue. Chaque vie vaut la peine d’être dépannée lorsqu’elle se trouve dans une impasse, c’est notre devoir d’essayer.
André Burgdorfer, Directeur
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